mardi

Refus du Mercure de France



















Bien sûr, on me dira "Ouais, mais bon, c'est le Mercure de France, keua" et oui, en effet, c'est le Mercure de France qui m'annonce qu'ils ne publient que des textes de très haute qualité qui font l'unanimité de leur comité de lecture. Je dirais bien que ce n'est pas chez eux que je nourrissais mes plus grands espoirs, mais ça, évidemment, c'est facile à dire après coup.

Quand j'ai jeté un oeil dans ma boîte au lettres, j'ai tout de suite repéré leur enveloppe. Je n'ai vu qu'un cachet "Prioritaire" et j'ai compris que la lettre provenait de France.
Je n'ai pas été excité. J'avais bien compris, à l'épaisseur de l'enveloppe, que ça ne devait pas être bon signe. J'imagine que le jour où je recevrai une réponse positive, il y aura plusieurs feuilles m'expliquant la suite des opérations d'édition. Cette hypothèse ne sera confirmée que le jour où j'aurai convaincu un éditeur.

J'ai donc d'abord ouvert un pli émanant de la ville de Liège, m'annonçant l'imminence des travaux dans mon quartier. Immédiatement s'est formé dans mon esprit les images du chaos que cela allait impliquer. Le bordel que ça va être dans ma rue quand ils vont commencer. C'est déjà la croix et la bannière pour se garer, mais là, je pense que ça vraiment se transformer en combat de rue.
J'ai ensuite ouvert une réponse de ma fédération professionnelle. Réponse qui arrivait avec six heures de retard, car j'avais déjà pris mes dispositions en l'absence de réaction de leur part.

Vous remarquez ? J'essaie de parler d'autre chose.

Ce premier refus est une bonne nouvelle pour mon lectorat hypothétique. C'est le premier pas vers une publication en ligne. S'il vous est difficile de lire sur un écran, il devrait vous en coûter 3 ou 4 € d'impression au lieu d'une vingtaine pour un beau bouquin relié.

samedi

* N'ayons l'air de rien.















- Mais d'où vient un tel courant d'air ? dit-elle.
C'est le passage cabré d'une maîtresse sexy. L'amour qui souffle ses braises sous les ponts. Soyons désuets* ! Osons le son amour. Laissons. Laissons le se développer sur un frisson de fleuve. Laissons. Laissons le voyager. Prendre les autoroutes. Des vols depuis Amsterdam. Jusqu'à Milan.

- Mais d'où vient un tel murmure ? dit-elle.
C'est l'amour qui chuinte en passant. Soyons désuets*. L'amour se faufilant, glissant, dans les sons. La caresse d'une langue sur le palais. Tu articules dans ma bouche. Des sons sexy. Ma maîtresse ! Sur tous les ponts, ton nom.

- Mais d'où vient un tel tintement ? dit-elle.
Ce sont les accidents. Sur les pistes d'autoroute. Des conducteurs distraits. Par une maîtresse sexy. Le ruban noir tracé d'une route suave*. Tu rougis ? Soyons désuets.

ET

J'écrirais ton nom
Sur tous les ponts
Depuis Milan
Jusqu'à Amsterdam.

vendredi

Mariée Haute









Je m’en suis souvenu ce matin. Mais déjà j’ai oublié.

La mer a tout emporté.

J’envolais les notes. Au bord de ma grotte. Au bord de la plage. Elles partaient inaudibles. Vers une île inconnue. Une île icône. De mon violoncelle aphone. La crainte monta. Avec la marée montante. Aculé au plafond. Radiographie des poumons. Triste mort. Triste sort. D’un triste sire.

La mer a tout emporté.

Je les ai vus flotter. Mes épées. Mes poupées. Mes toiles, mes voiles, mais toi si souvent manquée. Je les ai tous sauvés. Mon instrument n’était pas même mouillé. La colophane ne s’est pas dissoute. Et l'archet bandait tant qu'il pouvait.

La mer a tout emporté.

Nous sommes retournés à l'hôtel. Coincés entre deux brouillards. La route pleuvait. Marcher sur le volcan. Et partir. Dans ta robe volante. Remplie de toi. La robe. Isolée. Symbolique. Blanche. Perdue dans les satins. D'un blanc matin.

La mer a tout emporté.
Je t’emmènerai encor.
Au port.
De Reykjavik.

Reykjavik

Novembre 2006

mercredi

Une lettre belge




envoyé à Monsieur Frédéric Beigbeder via MySpace ce 16 septembre 2009

Monsieur Beigbeder,

Hier soir, nous étions réunis avec trois amis autour d’une pinte de cidre, de deux Irish Mists, d’un Four Roses Coca et d’un verre de vin rouge (sans doute argentin, je ne contrôle pas les goûts de mon épouse). Inévitablement, l’un d'eux est venu à parler, avec un enthousiasme qui lui est peu commun, de votre nouveau roman.

Comme beaucoup d’autres sans doute, il a projeté une brique dans la vitrine de son libraire favori pour l’obtenir au plus vite. Mon ami n’est pas un voleur – je ne fréquente pas ce genre de gens –, il a bien sûr déposé proprement les 18€ sur le présentoir constellé de bris de verre avant de fuir pour le dévorer en une soirée. Là, je me demande comment un écrivain perçoit ce genre de gloutonnerie. Est-ce une sorte de compliment quant à la qualité passionnante du livre ou plutôt une insulte aux heures de travail et de détention que ce récit a couté ?

Toujours est-il que mon ami a été très touché par la sincérité de cette biographie. Que vous, en particulier, ayez cessé de porter le masque de vos personnages et de l’auto-fiction pour vous livrer ainsi à votre public, c’est un sacré putain de don de soi.

Ça m’a fait penser, devant la deuxième commande (dans laquelle une pinte de cidre a remplacé un Irish Mist), au changement de ton chez Bret Easton Ellis quand il a écrit Lunar Park. Quelque chose de plus vrai, de plus introspectif, de plus authentique. Même si Ellis, lui, n’a pas eut votre courage de tomber les masques.

Du coup – vous vous rendrez compte bientôt que toute cette introduction n’est qu’une digression visant à noyer un poisson – nous avons abordé le sujet de vos détracteurs qui vous dévaluent à imaginer et même à caqueter publiquement que vous imiter le style du Brat Pack. Tatata, Monsieur Beigbeder, tatata ! Si l’on s’en tenait à la surface poudreuse et à l’air de fête, on pourrait évidemment faire des ponts entre leur écriture et la vôtre, mais un océan de culture vous sépare. Je ne crois pas, mais ce n’est que mon avis de béotien, que les styles, les contenus ou les références soient comparables d’une culture littéraire à l’autre ou alors il faudrait inventer une anthropologie littéraire comparative.

Bon, trêve de blabla, j’en viens à la raison de cette lettre. En fin de conversation, un autre de mes amis a soulevé l’idée que vous nous adoptiez. Aucun de nous n’a trouvé de bonne raison à ce que vous fassiez cela, ni même à ce que nous vous le demandions, mais l’idée a claqué dans le pub comme une évidence. Ça tombait sous le sens : vous devez nous adopter.

J’imagine bien, monsieur Beigbeder, que ce genre de demande exige un temps de réflexion. Nous sommes patients. Les démarches administratives et les combats juridiques seront très certainement épuisants. Nous sommes endurants. Nos parents s’y opposeront, nos amis nous retiendront et peut-être que votre propre famille aura quelque chose à y redire. Nous sommes prêts.

Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de recevoir, Monsieur Beigbeder, l'expression d'une piété filiale sans modération.

Palestra.

P.S.: mon ami m'apporte Un Roman Français ce soir, je m'en réjouis. Etant donné mon rythme de lecture et le poids du retard qui fait ployer mes étagères, je ne promets pas d'avoir terminé avant deux mois.

dimanche

Vienne deux















C'est systématique. Quand je visite une ville étrangère, les cent premiers mètres à peine parcourus, je me dis Mais bon dieu ! C'est plein de jolies filles ici !
Je dois me faire une raison. En fait, les filles sont jolies partout. En particulier quand c'est l'été et qu'on se ballade dans une avenue commerciale. O God bless la mode des mini-shorts ! O God bless la mode (bien que bientôt passée) des leggings ! O god bless la mode du lurex ! O God bless la mode des décolletés baillants !

Evidemment, en célibataire à Vienne, la machine à fantasme a tourné volle speed. Dès le premier jour, j'ai entamé la conversation avec une jeune et jolie psy locale, mais elle n'est pas revenue le lendemain - cause à effet ? Je me suis demandé tout le séjour comment aborder cette autre terrible milf blonde, mais je n'en ai jamais eu l'occasion - ou ne me la suis-je jamais donnée ? Toute la soirée au bar alpin, je me suis fait dragué par trois Anglaises. Elles disaient me trouver handsome, voire carrément striking ! Passé un certain nombre de litres de bière, j'ai fini par me dire Boarf, pas grave si elles sont moches, ça fera toujours l'affaire, mais je me suis repris à temps.

Et puis le dernier jour, j'ai invité la sympathique réceptionniste de mon hôtel à venir prendre un verre. Elle était tellement embarrassée que j'ai cru qu'elle allait fondre et disparaître sous son comptoir. Impossible de capter son regard de nouveau. Mission failed.

Note pour plus tard : inviter une réceptionniste - qui connaît forcément la date du départ - à peine douze heures avant le décollage, revient à demander : on baise ce soir ?
Ce genre de chose ne marche que dans les films de cul.

Vienne
Septembre 2009

samedi

How to disappear completely














Ce texte sera illisible. Rebutant même. Parce qu'il n'a pas d'intérêt. Je me suis perdu. J'avais une identité. Et je ne sais plus et le reste c'est du vent. Si seulement écrire a encor un sens. Encor. Je le préfère sans "e". C'est celui du désir. "Encore" est celui de l'envie. Du caprice. De l'enfant. Sans "e" la femme jouit.

Ce texte est un défi. Pas pour moi. Pour celui qui la lit. Ils sont déjà si rarement lus. Celui-ci, il faudra être bien couillu. Fin de la rime. A la ligne.

Ca y est, je suis trentenaire. J'ai déjà fait ma crise, merci. Elle s'est soldée par un choix. Une thérapie. Un tatouage. Ou un violoncelle. C'est con une crise. Pourtant, ça a l'air sérieux. Mais, non, c'est con. Et j'ai opté pour le violoncelle.

J'aurais mieux fait d'éviter la ponctuation. Ca aurait été encore plus méchant. Je ne le suis pas. Méchant. Je ne crois pas.

Parfois dur.

Avec mon épouse. Mais c'est juste parce qu'elle a la malchance d'être tout près. Un jour, j'ai frappé mon petit frère. Et je lui ai dit que c'était parce que c'était lui qui était le plus près. Je ne suis pas violent. Faut pas croire. Quiconque à un petit frère pas trop éloigné en âge, s'est battu avec lui. Ne mentez pas. Y a rien de mal à ça. On se dispute l'amour des parents.

Je crois qu'on est perdu. Je ne sais pas exactement comment l'exprimer. Mais j'aimerais le dire partout. Notre société est décadente. C'est génial. Mais ça signifie aussi qu'elle touche bientôt à sa fin. On fait la fête.

Tout le temps.

Mais bientôt le soleil se lèvera. Et il ne nous restera plus qu'une gueule de bois. Et un envahisseur chinois. De nouvelles hégémonies. Et nous serons pauvres avant d'être mort. C'est comme ça. Profitons-en. C'est le moment où votre hôte annonce que c'est la dernière bouteille de rhum. Soit vous êtes déjà parti parce qu'il y a le petit tout ça. Soit vous êtes déjà quasiment dans le coma. Soit vous n'arrivez pas assez vite au bar. Parce que moi j'y suis. Déjà.

Je fume toujours. Je commence seulement à me poser des questions. Reste de cette crise. Conscience nouvelle de ma mortalité.

C'est clair.

Maintenant, j'ai peur de tomber. Maintenant, je dois m'étirer. Et j'ai quand-même mal.

Certains amis m'ont quitté. Ce n'étaient sans doute pas des amis. Et l'hémorragie continue. "Elle transforme les pavés en îlots". Et quand j'y pense. "Trois mille six cent fois par heure, la seconde chuchote "Souviens-toi", rapide, avec sa voix d'insecte". Alors, j'essaie d'extraire l'or. De chaque minute. Et me rends compte au même moment que je perds mon temps. A écrire ce texte.

Illisible.

Ca faisait longtemps que je n'écrivais plus. Je ne peins plus. Non plus. Je ne tire plus. Non plus. J'fais l'ménage. J'ai l'temps. Et je rêve de nouvelles gloires. Un plan en trois étapes. C'est ça être adulte. Faire des plans. Un roman. Il parle de culpabilité. Et de crises d'identité. Et sinon, un gosse. Parce que j'aurais échoué. Echoué à n'être pas tout le monde. Tout le monde est tout le monde. Je voulais être Autre. Ou au moins un autre. Alors un gosse pourquoi pas. Et espérer que lui, peut-être, elle, peut-être y parviendra. Il-elle n'est pas encore là. Et je projette déjà. Comment ne pas mieux se fondre dans le moule.

Pathétique.

De parler encore de moule.

So cliché.

Les seules qui restent sont celles des films pornos. Ils ont fini par me dégoûter. J'ai des bouffées de mélancolie. Dès qu'une fille me plaît. Et il y en a. Même plus besoin du soleil. Pour afficher des cadavres libidineux. A l'érection s'est substituée la dépression. Même pas un film érotique. Je me dis ça sert à quoi. Cette fiche est aussi un blasphème. Je m'en rends compte. Un blasphème à deux lois. Que je respecte scrupuleusement. Toujours. "Mais" ne s'utilise jamais en début de phrase et est toujours précédé d'une virgule. "Et" ne peut jamais être précédé d'une virgule et n'est jamais utilisé en début de phrase. Trop dur la vie. J'ai tant de chose à dire. Et personne pour m'entendre.

Non.

Peut-être n'ai-je rien à dire en fait. Si je devais me suicider, je ne me tuerais pas. Je disparaîtrais. Je prendrai mon automobile. Et je partirais vers l'Est. Vers l'Est parce que c'est la plus longue route possible.

Pour disparaître.

Et sans justification, s'il vous plaît. Juste comme ça.

Pfiout.

Ce n'est pas encore assez long. T'en veux encore. J'en ai. Derrière mon front des images. D'Afghanistan. Du Kosovo. Beaucoup en ce moment. De Venise. De Paris. D'Amsterdam. Vous ne pouvez vous empêcher. De marquer le point. De Sicile. Des Pouilles. D'Islande. D'Espagne. Et bientôt peut-être, j'aurai conquis le dernier continent.

Des choses de moi.

J'ai grandi à trois endroits. Me souviens pas. Un déménagement à tête de turc. Puis le nouveau est arrivé. Essayé de poser durant l'adolescence. C'est pas fini. La pose. Pas l'adolescence. Mais j'essaie d'arrêter. De consommer. J'en ai marre d'avoir.

J'EN AI MARRE D'AVOIR.

Je veux être. Seulement. Ca ressemble à un slogan. Je suis con. Je veux être moi-même comme tout le monde. Rien ne me distingue. C'est peut-être pas si fini. Toujours là.

J'y pense. Il est impossible de ne pas polluer. Il est impossible d'arrêter le réchauffement climatique. C'est la société qu'il faut changer.
Violons.
Si je vais au boulot à vélo. Si seulement c'était possible. Je rejetterai tout de même de l'oxyde de carbone. En plus je devrais me laver. A l'aller. Et au retour. Donc je consommerai encore de l'eau et du gaz ou de l'énergie pour la chauffer. Vous croyiez qu'il y avait des solutions ? Il n'y en a pas. Le gouffre. La fin. Mais quand tout sera fini. Nous vivrons de notre jardin. Et il y en a qui trouveront ça bien.
Violons ?

Violons.

Ca sonne bien. Ca tombe bien. Que n'avez vous appris. 30MLiègecommeondisait. Pas vraiment dépassé. Le Net est toujours infesté. Suffit de vous demander pourquoi vous êtes ici. C'est l'Human Nature. Je veux dire vous retourner sur vous-même et vous poser sincèrement la question. Peut-être êtes-vous encore capable de dépasser votre mauvaise foi. C'est drôle. Je croyais que je n'y arriverais pas. A vous tenir jusqu'ici. Si ça se trouve. Le seul capable d'y tenir. Mourra au milieu de sa lecture. Ce sont des choses qui arrivent.

Un moment on est vivant.
Et l'instant d'après.
Mort.

"Pour oublier, je dors".

C'est comme ça. Nous ne serons jamais [en train de] mourir. Ou alors nous le sommes tout le temps. Et on attend. Il y a un train qui passe sous chez moi. Je l'sens pas. Y a un rempart pas loin. Y a mes voisins Ghanéens. Puis Italiens. Le musicien. L'épicerie du coin. Les feux. Les coups de feux. Même pas peur. J'ai entendu atterrir des roquettes. Et exploser des mines. Suis un homme. Plein de défenses.

Mon père m'a demandé si je me sentais capable de tuer quelqu'un.

J'ai dit oui. Je suis entraîné pour. Mais après tout. Je ne le saurai qu'au moment venu. Et advienne que pourra. Me demande ce que ça lui a fait. D'entendre ça. Ainsi qu'à ma pauvre maman. Que je comprends bien mieux maintenant. Tu ne vois toujours pas qui je suis. Si la fac pouvait toujours résonner de mes pas. J'y erre parfois. Un vrai fantôme. Inquiétant. Sûrement. Dans mon déguisement. Mon chef de service fait semblant de travailler. Ma supérieure aussi. Moi aussi, j'ai pris le pli. Y a que le pti nouveau. Mais il parle déjà de nous quitter. T'as bien raison. Il n'y a rien à faire ici. Sinon, s'assurer. Je croyais d'ailleurs qu'il n'y avait que dans les milieux ouvriers. Qu'on écoutait Radio Contact. Qu'on regardait RTL-TVi. Et qu'on était fan de Johnny. Je vends mon âme. Sur l'autel de la consommation. J'avais cru prendre le contrôle. C'était il y a longtemps. Mais me voilà esclave. Du pognon. De mes relations. Des conventions. Me restent plus que les séries événements. Trop tard peut-être. J'ai vu deux saisons de Nip/Tuck. Et souvent j'ai failli pleurer.

"Mon pauvre ami".

C'était justement ma nouvelle expression.

Victime.

Encor.

De son temps. Elle m'a demandé "Quand donc te reposes-tu ?". Je lui ai dit "Quand je dors". C'est logique. Le reste, c'est de l'or. Comme susdit. Quand je commence à me répéter. C'est qu'il est peut-être temps de m'arrêter. Comme une métaphore de la sénilité.

Alzheimer littéraire.

Pasticcio poétique.

vendredi

Vienne












En connexion directe avec mon inconscient bourré de préjugés – votre cerveau l’est tout autant, faites pas les malins –, si je pense Vienne, je pense Sissi, Freud et Hitler. Super. Si j’étais resté dans ma chambre d’hôtel, à mater les chaînes soit-disant porno – elles diffusent uniquement des pubs pour des lignes roses et parmi la centaine d’éro-canaux proposés, oui je les ai tous passés en revue, il n’y en a que deux qui ont des images animées (le reste étant une succession ennuyeuse des photos) et l’une des deux n’était peuplée que des vieilles flasques – n’aller pas bander à imaginer des superbes milfs, hein, non, c’étaient des Autrichiennes avec des tresses blondes, de la cellulite et un ventre qui avait dû connaître trois grossesses.

Bref, si j’étais resté dans ma chambre d’hôtel, j’aurais imaginé une ville de honte et de culpabilité enfouies sous des palais baroques et des cabinets de psycho bling-bling. Comme j’étais là pour participer à une conférence et que les chaînes pornos n’en étaient pas vraiment, il m’a bien fallu sortir. Je vous passe les détails de la conférence ?

Pour ce qui est de la honte et de la culpabilité, je crois bien que certains Allemands sont guéris – peut-être grâce aux cabinets de psycho, d’ailleurs. Oui, je sais, je fais un amalgame douteux en assimilant Autrichiens et Allemands. Les premiers diront sans doute qu’ils n’avaient jamais voulu l’Anschluss, tout ça et que c’est pas leur faute, mais désolé, ça sert mon propos. D’ailleurs, tant mieux pour eux si le passé n’a pas l’air de les complexer. Je ne vois pas pourquoi ils devraient porter les croix de leurs aïeux. Même s’il faut pas oublier et tout le blabla de la mémoire, évidemment. Un médecin allemand, donc, pour engager la conversation, m’annonce qu’il est en train de lire un bouquin – notez la délicate entrée en matière – sur les génocides. Lecture transcendante, à n’en pas douter. Il me relate que les trois principaux génocides de la deuxième moitié du vingtième siècle ont eu lieu dans d'anciennes colonies belges, avec le sous-entendu grossier de notre responsabilité dans ces événements. Bon, on comprendra aisément que je n’aie pas souhaité entrer dans le débat. J’aurais pu parler de la guerre en ex-Yougoslavie, qui n’a jamais été, à ma connaissance, une colonie belge. J’aurais pu aussi, pour le plaisir de la disputatio, parler de certains millions de juifs exterminés, même si ce n’était pas dans la deuxième moitié du vingtième siècle (peu s’en est fallu). Étant de nature complaisante, j’ai simplement dévié la conversation sur des généralités stupides concernant les conflits ethniques.

Plus que m’en apprendre sur les Allemands – je ne suis pas dû genre à faire des généralisations abusives – cette petite conversation m’en apprends sur moi-même et sur mes préjugés. C’était justement un des thèmes de la conférence, qui portait sur les contacts inter-culturels dans la société globalisée. Un de mes préjugés est donc que les Allemands répugnent à parler de guerre ou d’atrocités. Ok, je vire donc ça de ma liste mentale d’associations foireuses. Quoi d’autre ?

Les Autrichiens ont plutôt confirmé les leurs. Je vois l’Autriche comme un pays très attaché à son folklore. D’ailleurs, en écrivant ces lignes, assis à la terrasse d’un bar à cocktail, je fais face à un mec, un peu plus de la vingtaine – accompagné d’une blonde à saigner des yeux – qui porte sans en avoir l’air des chaussettes jusqu’au genou – dois-je dire des bas ?– en laine verte et d’un bermuda en cuir qui résonne encore des claquements du Schuplattler.

Puisqu’il n’y apparemment ni honte ni culpabilité dans les sous-sols de Vienne, qu’y trouve-t-on ? Des clubs qui sentent bon les alpages. Je ne sais pas trop comment je me suis laissé embarqué par cette bande de Brittaniques, mais il est clair que l’endroit était pour le moins pittoresque. À notre arrivée, la piste était occupée par deux couples en chemise blanche et bretelles rouges dansant sur une chanson germanique peut-être contemporaine. Le décor était plaqué de bois naturel sur lequel on avait accroché des roues de charettes. Un poster géant illustrait des vaches paissant paisiblement sur une montagne verte. Quand j'y suis arrivé, j'ai cru à une blague, mais nous avons finalement passé toute la soirée dans ce trou tyrolien.

Les Britanniques se sont également comportés comme je m'y attendais. Quand ils m’ont invité à me joindre à eux, je me suis dit Ouch ! Je vais être bourré ce soir ! En effet, ils ont bu comme une plaine de lychen écossaise après deux jours sans pluie. En même temps, s’ils avaient une image des Belges comme étant des soiffards, je ne les ai pas démentis, car je les ai suivis. J’ai fini dans un état inénarrable, mais c’est tout de même moi qui ai été garant du retour de Liam, Irlandais, 100Kg, jusqu’à son hôtel.

Ils m'ont proposé de les accompagner à nouveau ce soir, mais mon avion décolle à 9h30 demain. Je dois me lever à 5h30... C'est dangereux, mais que peut-il arriver quand on manque son vol ?

Vienne

Septembre 2009