mardi
Da Da Da
Même si cette mélodie répétitive ne m'avait jamais vraiment quitté, je ne me suis rendu compte qu'aujourd'hui que ce clip datait de 1982. Je n'avais alors que trois ans. Pourtant, je vois encore le visage de ma mère, de mes tantes et d'autres membres de ma famille qui m'encourageaient à répéter "Da Da Da !" encore et encore. Je ne parlais pas encore un français correct, mais mon premier amour musical était un refrain en allemand du groupe TRIO : "Ich Lieb Dich Nicht Du Liebst Mich Nicht". Paroles qu'encore aujourd'hui, je suis incapable de prononcer. Je me vois même poser comme le chanteur, raide, mais souriant de répéter "Da Da Da !", pour le plus grand bonheur de mon public adulte d'alors. Et heureux de les rendre heureux, je répétais encore et encore "Da Da Da !".
Ma Madeleine de Proust est une chanson allemande minimaliste, basée sur une mélodie composée sur un synthétiseur Casio VL-1 bon marché.
dimanche
Cartes Postales
BRUGES
L’incendie sur le Pier
Fait danser les navires
Mais du haut du Béfroid
On ne voit que les chutes
Probables.
AMSTERDAM
D’Amsterdam, je n’ai vu que le port.
Jacques avait raison, les marins y chantent.
J’en ai profité pour faire valser la Flandre.
CAP BRETON
L'océan déferle comme des portées 4/4
Avance à mesures carrées
Au Penon, j'écoute les blanches de l'écume
Humide et défait dans ma combinaison 3/2
Et j’imagine les filles du pays
Dansant le Vertebreak
En l'honneur des surfeurs noyés
Le dos brisé
Par le short break.
LIEGE
Noyer la mort
Dans l'ivresse et l'insomnie.
mercredi
Correspondance VII : dernières nouvelles
Ton mail tombe à pic et ce, à au moins deux points de vue.
Premièrement, je me fais chier comme un rat mort en ce moment. C’est la dernière semaine, donc plus d’activité digne d’intérêt et glandage forcé en attendant la fin. Aujourd’hui, par exemple, j’ai passé toute la matinée à préparer mon coffre et le matériel à remettre. Occupation qui n’aurait pas dû prendre plus de deux heures, mais que j’ai volontairement fait traîner histoire de remplir du temps. Puis l’après-midi, j’ai regardé le film Thirteen (passable, mais pas digne d’être critiqué), j’ai mollement lu, bu du machiato, re-lu mollement et siesté un peu. Si je m’étais laissé aller, j’aurais repassé mes vêtements pour la deuxième fois… mais faut pas pousser.
Deuxièmement, je n’osais te relancer. Comme c’était le silence radio suite à ton dernier mail annonçant que tu allais présenter ta défonce (sic), je craignais que cela ce soit mal passé et n’avais pas trop envie d’aller jeter du sel sur une plaie oculaire.
Cela dit, je comprends bien que tu eusses ( ?) besoin d’un repos bien mérité après les efforts intenses des dernières semaines.
Du coup, je n’ai même pas pris la peine de te souhaiter un joyeux anniversaire en date utile. Voilà qui est fait.
Pour pas écrire deux fois la même chose, mais pour te raconter tout de même mes aventures, je te transmets en fin de mail et en exclusivité intersidérale le prochain post de mon blog, intitulé Скопжэ (Skopje and all that could have been). En vrai, il a été écrit sur un rouleau de papier Scotex dans une chambre dépouillée d’une installation de l'Organisation à Petroveć (Macédoine). Les coupons molletonnés seront bientôt encadrés et affichés sur le mur de mes toilettes (ndla : c'est fait !). Spoiler Alert : à la fin, je ne baise pas.
Le fait est, je ne pense pas t’en avoir parlé plus tôt, que j’ai dû me priver de blog durant toute la période. En effet, le Senior Executive, qui est aussi responsable de la communication externe, a exigé de tout le personnel qu’il lui fournisse les adresses de blog, de profil sur des sites de socialisation, etc. pour pouvoir effectuer un coup de sonde de temps à autre afin de s’assurer que personne ne mentionne des données confidentielles et/ou ternisse l’image de l'Organisation par ses propos, photos and so on.
dimanche
Ris doucement de moi
Errer dans Bruxelles.
Y défier le lion des rues.
Un ricanement dans les tympans.
Au milieu des arbres, des bancs et des zombies joggant,
Je mélange
Tout
Cinq hommes alignés devant une spécialité.
Sujets des moqueries.
Et chaque jour cette bague qui manque à leur doigt.
Ris doucement de moi.
Au restaurant,
Je mélange
Tout
Admettre qu’on vit dans une bourgade insignifiante.
A peine vivante.
Notre patelin n’est pas assez violent !
Pas assez de cette saine hostilité.
Assez de ce ricanement !
Dans la foule des navetteurs pressés,
Je mélange
Tout
Sans miroir, le regard de l’autre vous parle enfin de tout son poids.
Ecrase-moi.
Ris doucement de moi.
Hier, c’était peut-être ma chemise de traviole.
Aujourd’hui, probablement une tache de sauce sur mon col.
Demain sans doute un écoulement de sperme à l’entre-jambe.
Sur la Grand-Place bondée,
Je mélange
Tout
Errer dans Bruxelles.
Y chasser les souvenirs comme on chasse le fauve.
Les tuer !
Ris-tu encore doucement de moi ?
Les abattre chaque fois qu’ils tentent de se jeter à votre gorge.
Ris tu encore ?
Tirer une dernière fois.
Ris-tu ?
Dans la jungle,
Je mélange
Tout
jeudi
La vie dans les bois
Par la suite, j’ai souvent recherché cet endroit, par pure nostalgie, mais jamais je ne l’ai retrouvé.
Walden est le nom de l’étang à côté duquel Henry David Thoreau a vécu pendant deux ans, deux mois, deux jours. Le récit que Thoreau fait de cette expérience est un véritable manuel du retour à la nature. Il décrit très précisément le matériel sommaire dont il dispose, la façon dont il travaille la terre, chasse et pêche pour subsister. Son aventure est à la fois une critique du monde occidental du XIXème siècle et un hymne épicurien à la nature, aux saisons, aux plantes et aux animaux. Ces choses qui sont pour lui “l’envers de ce qui est au-dedans de nous”.
Cette idée d’une vie au sein de la nature ne m’a jamais vraiment quitté, mais par paresse purement citadine, post-moderne et occidentale, je me suis souvent convaincu qu’une telle vie n’était pas possible au XXIème siècle. Cela reste un fantasme au fond de mon esprit, tout comme son radical opposé qui serait de gagner à l’euromillion est de vivre de mes rentes.
Mon rêve d’enfant est remonté à la surface aujourd’hui par une de ces mystérieuses connexions neuro-nodales qui éclatent soudainement dans notre cerveau. Je crois que c’est l’installation récente d’un groupe de squatteurs dans mon quartier qui m’a fait réfléchir aux modes alternatifs de vie, aux modes de vie en dehors de circuits vulgaires de la consommation frénétique et dépendante.
Cependant, j’ai tendance à penser que ces squatteurs restent dans l’erreur. Même s’ils proclament l’auto-gestion, ils restent dépendants de l’argent sur un point essentiel à leur survie : la nourriture. D’une façon ou d’une autre, ils doivent gagner (trouver, mendier) de l’argent pour s’acheter de quoi manger et boire.
Une preuve de l’impossibilité d’une vie autonome ?
Un groupe d’anarchistes/communistes – ils ne se définissent par très bien eux-mêmes – a fait parler de lui par la publication d’un pamphlet sulfureux qui leur a été attribué. Ces neuf de Tarnac squattaient auparavant à Paris, mais peut-être se sont-ils rendu compte des dépendances et des limitations à leur liberté qu’occasionnait l’emprisonnement dans une métropole. Ils ont donc choisi de s'installer à Tarnac, un petit village rural du Limousin. Ils y vivent en Commune et travaillent la terre pour survenir à leurs besoins. Pas mal comme retour à la nature, mais l’indépendance ne semble pas encore totale. En effet, ils tiennent deux bars dans le village, ce qui semble démontrer une fois de plus qu’une rentrée de devise, sous la forme d’un travail, est inévitable pour survivre au XXIème siècle.
Et pourtant.
Le témoignage de Dolly Freed raconte comment elle et son père ont vécu avec 700$ par an (autant dire rien) sur un terrain d’un demi-hectare à une soixantaine de kilomètres au nord de Philadelphie et ce, en maintenant les apparences de la classe moyenne. Tout comme Thoreau, elle explique, étape par étape, comment mener à bien ce projet. Élever des lapins et des poulets dans une cave, attraper des pigeons avec des pièges à rats, distiller son propre alcool, régler les questions de logement, de transport, de santé, de législation,… Tout cela devient possible sans pour autant passer pour un hippie, un anarchiste ou un illuminé.
Quelle excuse me reste-t-il maintenant ? Si ce n’est le confort de vivre comme un gitan de droite…
Pourquoi ne pas retourner à la nature et vivre comme les bêtes que nous sommes ?