dimanche

Correspondances V : Pour qui qu'on s'prend















Mon estimé ami,


Il faut bien l’avouer, j’ai beaucoup ri (toutes proportions gardées) quand j’ai lu que tu avais placé le Tous les François Catrou sont un jour guillotinés sur l’échafaud du progrès. Succulent ! Je ne pensais pas que tu l’insérerais effectivement suite au mail à ce sujet.


Je ne mets pas en doute que Klein soit une spécialiste reconnue. Qui serais-je pour juger son travail ? Je ne suis expert ni en économie ni en politique et mon avis n’est probablement que celui d’un béotien. Cela dit, dans La Stratégie du Choc, elle développe une théorie expliquant comment le néolibéralisme s’impose, agrémentée de moult exemples historiques édifiants (le cône Sud de l’Amérique Latine, la Chine, la Pologne, la Russie, etc.). Cette théorie est brillante ! En somme, pour que le modèle corporatiste s’impose dans des pays affaiblis :

- il faut d’abord que la population soit choquée, volontairement ou non (coup d’état violent, guerre, ou catastrophe naturelle,…) ;

- profitant de l’état d’hébétude dans lequel l’évènement a laissé la population, on peut alors pratiquer un choc économique : privatisations massives, dérèglementation, réduction du rôle de l’Etat à son plus strict minimum.

- Troisième choc, on maintient la population dans un état de terreur en pratiquant, par exemple, les disparitions mystérieuses, les exécutions publiques et la torture.

Jusque-là rien à redire, hein.

Mais là où Klein perd du crédit, à mon sens, c’est en affirmant qu’elle met là à jour la stratégie du capitalisme en soi. N’est-ce pas là la stratégie de tout modèle économique extrême ? Si l’on prend la révolution communiste dans la Russie du début du vingtième, on retrouve la même dynamique (en miroir) :

- choc de la violence de la révolution pour les aristocrates, les bourgeois, le clergé ;

- choc économique : nationalisation massive, règlementation stricte, augmentation du rôle de l’Etat jusqu’à son paroxysme.

- Troisième choc : KGB, torture, Goulag,…

J’irai même plus loin (lecture libre de Hobbes) : n’est-ce la peur qui est le fondement même de tout « état » ? Y a des mecs qui se chient dessus parce que la nature les terrifie, les animaux sont méchants et les hommes sont des loups pour les hommes (premier choc). Alors, ceux-qui-se-chient-dessus font appel aux plus forts et leur demandent de les protéger. Alors bien-sûr, ceux-qui-sont-plus-forts abusent de la situation et en demandent de plus en plus en échange de leur protection. Ok, mais tu me files une partie de tes récoltes. Ok, mais tu me construis un putain de château. Ok, mais c’est moi qui saute ta femme (choc économique). Ceux-qui-sont-les-plus-forts, en plus d’être fort, ils sont intelligents. Ils se rendent compte que ceux-qui-se-chient-dessus sont plus nombreux et que s’ils prenaient conscience de l’injustice, ils pourraient leur foutre une sacrée branlée. Alors, ceux-qui-sont-les-plus-forts instaurent un régime de terreur, lèvent une garde personnelle, torturent en public, etc.

Enfin, vlà c’que j’pense, quoi.


Passons au cas Pessl, maintenant. Quelques extraits choisis quasiment au hasard :


[…] et il avait passé son enfance dans un orphelinat à Zurich où l’amour (Liebe) et la compréhension (Verständnis) étaient aussi susceptible de faire leur apparition que le Rat-Pack (Der Ratte-Satz).


Certaines, parmi les plus douces et les plus dociles […] me faisaient de la peine, car papa avait beau ne jamais leur cacher qu’elles étaient aussi temporaires qu’un bout de scotch, la plupart étaient aveugle à son indifférence (voir Basset, Dictionnaire des chiens, vol. 1)


« De qui tu parles ?» demandais-je le plus gentiment possible. Noah Fishpost, dans son passionnant ouvrage sur les aventures de la psychiatrie moderne, Méditation sur Andromède (2001), expliquait qu’il faut être aussi peu intrusif que possible quand on interroge un patient, car la vérité…


Voilà trois bons exemples de ce qui est gavant chez cette petite. Dans le premier, les précisions inutiles (quel est l’intérêt de donner la traduction allemande ?), dans le second un de ses raccourcis pour ne pas se faire chier à décrire les gens, elle renvoie à des illustrations encyclopédiques et dans le troisième, elle étale sa culture comme si elle écrivait un article scientifique (même si je suis bien conscient que c’est là sa volonté expresse, c’est tout de même lassant).

Et c’est comme ça tout le long du roman. Elle fait sans cesse des références, souvent inutiles, et sombre dans une pédanterie ridicule. Comme tu le dis très bien, parfois l’érudition prolifique, ça ennuie juste et j’ajouterais : d’autant plus quand elle est mal maniée.


Au sujet de mon « tiroir à bouses immondes ». Bon, j’avoue que j’y ai sans doute jeté des œuvres méritantes, mais quelque part, tu avoues toi-même le risque que l’on prend à s’intéresser, par exemple, à Watchmen. A savoir le risque, par la suite, de perdre 7€ et 2h à aller voir Avatar (ne fût-ce que par une douteuse charité chrétienne). Finalement, les condamnations expéditives nous protègent, comme tout apriori. C’est même là sa raison d’être !

De plus, avec un esprit un peu positif, il y a toujours moyen de trouver du bon dans tout. Prenons Spiderman, par exemple. Il est particulièrement léché au niveau graphique, de belles lumières, de belles couleurs, une belle mise en évidence de Manhattan, sans que ce soit réellement Manhattan. Et que nous dit-il d’important pour mener notre vie ? Qu’il faut persévérer face à l’adversité, croire que l’on pourra conquérir celle qu’on aime en secret et que la justice, en ce bas monde, existe autant que la bonté.

Ça y est, j’ai vomi par le nez.

Si on part comme ça, on finit par ne plus avoir aucun discernement et sans discernement, on est condamné à devoir regarder indéfiniment tous les films jamais tournés, tels un Prométhée moderne enchaîné à son écran et à louer la transposition magistrale de la philosophie d’Epicure dans Camping

Bon, hein, ne te méprend pas, je ne dis pas que tu manques de discernement ! Je soulignais juste le risque qu’il y avait à s’intéresser aux daubes-que-finalement-on-sait-pas-trop-si-ce-sera-vraiment-une-daube.


Je suis désolé de devoir te dire ça, si toutefois ça te blesse d’une quelconque manière, mais je pense que nous allons devoir envisager de trouver un système pour nous éviter à tout prix. Je me surprends à sourire bêtement devant mon écran à la lecture de tes mails truculents. Si quelqu’un devait entrer dans ma cale à ce moment, j’aurai l’air bien con. Donc, pour être à même de continuer à correspondre et prolonger ainsi ce plaisir, il faut continuer à prétendre que je suis à l’étranger et pour cela une seule solution : l’évitement mutuel. J’imagine que comme moi, tu auras sans doute eu quelques expériences en la matière (en tant que bourreau ou que victime) en secondaire, après un flirt aussi fugace que honteux.


Enfin, dans la mesure où cela ne serait pas envisageable, je propose que nous organisions une bourse d’échange bibliophile à mon retour. Avec tous les bouquins qui devront circuler, nous pourrons bien louer un emplacement sur la Batte !


A ne plus te revoir,


Piacoa.



PIENO

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