lundi

N'aide pas ton prochain comme tu voudrais qu'il t'aide















Cette histoire m'en a immédiatement rappelée une autre qui m'était arrivée quelques mois auparavant. J'étais tranquillement chez moi, regardant le film le plus viril de l'histoire du cinéma en pratiquant l'activité la moins virile de l'histoire des genres - je repassais en regardant Le Bon, la Brute et le Truand - quand on sonne à ma porte. Je n'ai malheureusement pas l'habitude de répondre par le parlophone. Je m'épargnerais bien des conversations avec des importuns si je le faisais, mais non, je ne peux m'empêcher d'ouvrir directement aux Jéhovas, aux représentants de Nuon ainsi qu'à de douteux vendeurs de gaufres. Cette fois, il s'agissait d'une sorte de mac tout droit sorti du quartier de la poste. Oubliez l'image du gangster au langage trois pièces en costume châtier. C'est pas Ocean's Eleven ici, c'est le quartier Sainte-Marguerite. J'avais affaire à une raclure de bas quartier, en jeans élimé avec accent balkanique*. Ces cheveux longs étaient bien trop gras pour être honnêtes, sa chaîne en or bien trop voyante pour attirer la confiance.

- Jonathan est là ? qu'il fait.
Bonjour, Excusez-moi de vous déranger, tu connais, connard ? Là, je me méfie un peu, mais pas assez, parfois les surprises nous rendent cons.
- Ben... c'est moi.
- Non, Jonathan qui habitait ici avant.
- Ah, l'ancien propriétaire, que je lâche avec soulagement. Il n'habite plus ici.
- Où je peux le trouver ? Je suis de la famille. Ca fait longtemps qu'il m'a pas vu.

J'ai beau me croire misanthrope, je suis incapable, quand je suis pris de court, de ne pas aider les gens. Si je ne m'y prépare pas, en fait, je suis assez sympa, voire carrément débonnaire.

- Il n'habite plus ici, mais sa famille habite la maison juste là.
Je la lui pointe du doigt. Evidemment, il ne dit pas merci.

Par ma fenêtre, je regarde tout de même discrètement la tournure des événements. Je suis écrivain, je contrôle pas les scénarii qui germent dans mon esprit de tordu. On doit de l'argent à ce mec et moi, je l'ai conduit direct vers une prise d'otage ou un règlement de compte au 9mm détourné.
Le gars a simplement été envoyé ailleurs et je comprendrais mes voisins s'ils venaient tagger BALANCE sur ma façade. Ils ont peut-être été plus malins et loyaux que je ne l'avais été et ont dit qu'ils ne connaissaient pas de Jonathan.


Aujourd'hui donc, je sors de chez moi pour un footing matinal. Privé de lecteur mp3 et gonflé de honte et de culpabilité, comme à chaque fois, ma musique intérieure chante :

Fitter, happier, more productive
Comfortable
Not drinking too much (ça c'est en pensant au week-end juste passé)
Regular exercice at the gym
(three days a week) et ça, c'est pour le footing.

Pourquoi diable devrait-il y avoir une opposition entre le corps et l'esprit ? En quoi courir m'éloigne-t-il des activités cérébrales ? Dernièrement, lors d'une interview, on faisait remarquer à Thomas Gunzig que ça ne faisait pas très intellectuel de pratiquer le karaté et il avait l'air d'accord avec ça. Être en mouvement ne m'empêche pourtant pas de penser, prendre soin de mon corps ne m'empêche pourtant pas cultiver mon monde intérieur. Je suis un partisan de la maxime de Gambini :

Je suis et ça se voit.

Soigner son apparence, c'est aussi soigner son être.

Arrivé à mon demi-tour du parc de la Boverie, alors que cette foutue montre Polar indiquait 232 pulsations minutes depuis 3Km - bon dieu, quelle merde cet appareil, si c'était le cas, mon coeur jouerais un morceau du Thunder Dome XVI alors que je serais en train de convulser, les yeux révulsés, l'écume au coin des lèvres - une auto s'arrête à ma hauteur. Le mec, genre, il a pas remarqué que j'étais en train de courir - je porte une de ces ridicule tenue lycra qui me moule les couilles et le reste - et il me fait :

- Hé, tu sais pas où se trouve le quai Frère Orban ?

Pas d'écouteurs en tant que prétexte à la surdité, je m'arrête donc, malgré l'absence flagrante de bonjour et d'excuses. Il avait la même tête que Robotnik, mais sa voix de Sémaphore - le maître de Cubitus - le rendait presque sympathique. Comme je l'ai dit plus haut, quand on me prend par surprise, je suis plutôt serviable.

- Heu... Frère Orban. Attendez que je sois sûr, j'halète. Ouais, ben, c'est le quai juste en face en fait.
- Ah, de l'autre côté de la flotte.
- Oui, de l'autre côté de la Meuse. Vous prenez le pont juste là derrière, qui est le pont Roi Albert Ier (notez le détail parfaitement superflu) et passé ce pont, c'est juste à gauche.
- Ah, ok merci.

Je reprends alors ma course et le cours de mes pensées galopantes tout en prenant mentalement note de la plaque du véhicule. Je ne sais pas trop d'où me vient cette habitude de flic. Cela dit, ce léger réflexe légèrement paranoïaque est entaché de ma mémoire d'Osborne I. Si je devais témoigner, voilà à quoi ça pourrait ressembler :

- Avez-vous pris note de la plaque d'immatriculation ?
- Oui... heu... enfin, ça commençait par NUL, je crois. Non, non, c'était LNU !
- Vous êtes sûr ?
- Oui, oui, je suis sûr. LNU.
- Et les chiffres ?
- Han ! Non, désolé, je ne me souviens pas.
- Quelle était la marque du véhicule ?
- Alors ça, facile, c'était une japonaise. Une mazda. Je crois. Ou Honda, un truc comme ça.
- Ok... le flic est déjà un peu exaspéré. Couleur ?
- Rouge. Ca c'est clair dans ma mémoire, rouge. Et elle était peut-être décapotable.
- Comment ça peut être ?
- Il me semble que le toit était noir.
- Bon... on n'ira pas très loin avec ça. Vous pouvez nous décrire le type ?
- Oui. Il ressemblait à Robotnik et avait la même voix que Sémaphore, vous voyez, le maître de Cubitus.
Soupir désespéré de l'agent. Je vous laisse imaginer le portrait robot.

Retour à mon souffle court. Quand je suis arrivé juste sous le pont Albert Ier, j'ai entendu deux coups de feu provenant de l'autre rive. J'ai clairement vu un éclair et entendu une nouvelle détonation depuis un étage du Ministère de la Santé. Sur le quai Frère Orban.

La Meuse me dira demain si j'ai indiqué le chemin à un désespéré des services fédéraux.

* on ne pourra pas m'accuser de taxer d'office de préjugés certaines ethnies. En effet, les Balkans ont pour particularité d'abriter toutes sortes de cultures. Le type ici peut être aussi bien Albanais, Turc, Kosovar albanophone que Serbe, Croate ou encore Rom, Bosniaque ou pourquoi pas Français, on trouve de tout là-bas, c'est bien là leur malheur.

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